Sa peau résistait à ses efforts, à ses ongles trop tendres, à ses doigts malhabiles.
Peu lui importait. Il continuait de tirer, tirer pour élargir, tirer jusqu’à la rendre diaphane, jusqu’à ce que l’on devine enfin derrière la forme de ses organes.
A leur vue, il aurait voulu passer tout de suite à travers cette peau violacée qui commençait vaguement à pendre en loques autour de son corps.
Son cerveau ne transmettait plus la douleur. Cette vilaine peau qui se décollait à grand peine comme une vieille glu séchée, emportant sur son chemin un peu des innombrables terminaisons nerveuses rencontrées, était devenu muette. Cela rendait la tâche plus aisée, mais moins intense.
Il avait voulu s’écorcher en dépit de l’intolérable, un dépouillement salvateur. Son corps en se taisant laissait s'épancher l'autre douleur, grosse bouillie de nerfs, de sang, de veines arrachées à son âme.
Enfin, la peau céda un peu.
De minuscules filets sanglants fleurirent sur son épaule.
Il introduisit ses ongles dans l'ouverture puis tira comme il pût. En s'arrachant, le lambeau de peau s'enroula sur lui-même comme de l'écorce d'orange, laissant suintante la chair à vif.
Il sentir sous son index une vague aspérité encore engluée de chair ; un premier os. Ses doigts le parcoururent avec reconnaissance, cherchant à s'emparer de son extrémité.
Mais la place manquait.
Impatient, il tira de plus belle sur la peau gênante.
Un millième de seconde, presque une éternité, la douleur fût là. De sa bouche jaillit un hurlement tel qu’il crut, un instant, faire éclater sa gorge.
Il tomba à genoux en suffoquant, reprit péniblement son souffle. Puis encore un peu étourdi, poursuivit son entreprise en prenant à deux mains tremblantes chacun des larges lambeaux de chairs qui pendaient désormais de son corps.
A force de tirer, déchirer puis arracher, son ventre bientôt fût à nu. Fiévreux et vaguement honteux, il retint un court instant entre ses mains ses intestins débordants. Puis il haussa ses épaules à vif et laissa tomber sur le sol la lourde masse, regardant ses entrailles se dévider, s’entassant mollement à ses pieds dans un bruit de succion.
Pris d’une hâte irrépressible, du sang plein le nez et la bouche, plein les bras et les jambes, il enfouit ses doigts fébriles dans la chaleur brûlante et moite de son ventre, tâtant ses côtes, frôlant même son cœur l’espace d’un précieux instant, s’emparant enfin, de son foi, de ses reins, les recouvrant de ses mains avec émerveillement, se penchant tant qu’il put pour les déloger un peu et tenter - vainement - de les baiser chacun.
Il soupesa son estomac de la paume, appuya un instant du bout des doigts sur ses poumons, considérant leur texture étrange avec un mélange de terreur et d'émerveillement.
Ce faisant, se sentit vrai, puis digne, puis absolument humain, puis parfaitement lui.
Complet.
Tremblant de joie et prenant conscience soudain de son extrême vulnérabilité, il s’allongea maladroitement, en trébuchant, sur le sol froid, glissant dans ses entrailles, se lovant avec délice dans leur chaleur pestilentielle. Puis il ramena ses genoux à lui, entourant ses jambes de ses bras dont les muscles rouge sombre luisaient à l’air libre et enfouit dans le creux de son corps poisseux, frémissant, brûlant, son beau visage aux traits tirés.
Il testa en dernier la sonorité pure de ses cordes vocales libérées de leur gangue d’épiderme en chantonnant doucement dans les interstices de ces côtes.
Au bout de quelques instants, son fredonnement s’éteint ;
Au chaud, serein, heureux, il avait sombré tout entier dans le sommeil.
Amas de chair, de douleur, de sueur, puant, noyé dans sa plénitude,
Prêt à être aimé.
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