J’ai,
en tissant mes doigts
confectionné un tricot à la maille intriquée
où mon cœur s’est mis
et ma tête a chanté
pour noyer toutes les voix
en tissant mes doigts j’ai
cassé mes ongles adieu défenses
muré mon ombre
qui me trahissait
j’ai
en ne parlant pas en disant autre chose
à côté de la vérité
par manque de mots
et manque de foi
et aussi en n’écrivant pas
de peur d’être fausse
par manque de mots
maladresses et intentions biaisées
comblé le vide laissé par quelqu’un
qui n'existait pas
creux dans l'air
menacée d’implosion lente
bouche close cousues mes lèvres
fait-on je ou les autres jamais autre chose ?
j’ai acquiescé
résignée mais vaillante
avec les autres, j'ai dit oui :
moi, vivante, c’est ainsi : jamais je n’existerai
que parcellaire entremêlée à d’autres taches de lumière ou de suie
poignées de poussière et débris
morceaux pulsants mi-moi mi- l’univers
mi- vomie
mi- rêvée
c’est comme ça, qu'y faire? … Oh,
bonjour.
oh ! mais c’est vous, bien sûr, c’est vous
six mois, un an, dix ans, trente ans
qu’on ne se connaît pas !
et comme vous m’êtes chère.
on le sait sans appel, on continue pourtant
à chercher la bonne direction
vers laquelle tendre son cœur
à l’affût d’âmes sœurs
nous qui aimerons toujours
jamais qu’à côté
dans les interstices
entre les êtres
dans les désirs et les peurs et les histoires
entre les vérités
dans cette communauté de solitudes lancinantes
qui tapent et haïssent
comme on donne de violents coups de rame
pour ne pas s’enfoncer dans les sables mouvants aux abords d’une île inconnue
et se rapprocher davantage du milieu de la rivière
de la barque de celui
beau, familier, riche des images dont on le couvre
qui nous accompagnait,
dans cette communauté donc,
oscillante et chuintante
d'êtres emmurés dans leur chair,
comment être seule?
comment ne pas l'être?
le tricot de mes doigts
le vacarme de nos voix
je ne suis pas ici.
il faut tenir bon, bien s'enfouir
allons courage!
c'est l'affaire de quelques décennies,
à peine.